Il s'enfonça profondément dans le cuir de son siège. Les cadrans bleutés luisaient doucement dans la nuit comme autrefois brillaient les phares de la côte lorsqu'il rentrait à la barre de son voilier.
Il se souvint des lumières du petit port de Grèce, et leurs reflets qui dansaient dans l'eau noire. Comme une amicale présence, comme le cadran phosphorescent de la montre de sa femme endormie, toutes ces nuits à ses côtés, bien avant le divorce. Il se souvint de toute cette paix.
Dehors, comme au lointain, les lumières défilaient, irréelles, derrière les vitres fumées de la limousine. Le moteur ronronnait comme un gros chat heureux, le parfum du cuir lui rappelait son enfance.
Il baissa un peu la radio jusqu'a ce que le son du sax se fonde dans l'ambiance. Instantanement, son dos se redressa, son visage devint plus lisse, un air oublié de noblesse lissa les plis de son visage, un sourire lointain se tendit sur ses lèvres. Il était bien.
Amusé, il pensa au cadeau du destin qui lui avait apporté cette voiture, et cette valise, juste là sous ses yeux. Il desserra un peu le noeud de la cravate de soie. Il n'avait pas hésité une seconde: Tout était clair. Ne s'était pas préoccupé de cet homme d'affaire qui faisait la queue au tabac, un oeil rivé sur sa voiture qui tournait au ralenti, sans se méfier un instant du clochard assis dans le caniveau.
Les clochards sont invisibles aux yeux des hommes ordinaires.
Un jeu d'enfant. Tous ses réflexes retrouvés. La suite avait été rapide. Quitter Paris, par la porte d'Italie, s'arrêter dans une station service, se raser, et enfiler les vêtements trouvés dans le coffre. Juste le temps de prendre une douche dans un motel, de s'asperger de cette eau de Cologne de luxe, d'allumer un cigare trouvé dans le vide poche.
Il avait retrouvé sa vraie vie, il avait retrouvé sa vraie place.
Si ses compagnons d'infortune, dans leur vomi, pouvaient le voir, ils n'en reviendraient pas...
Et ses anciens amis d'autrefois, ses amis qui l'avaient tous abandonné après le scandale, tous laissé tombé. Ses bons amis, bien au chaud dans leurs appartements de Neuilly, qu'ils soient maudits !
Il chassa ses idées sombres, comme on chasse un moustique d'un geste de la main. Ce n'était pas le moment de tout gâcher. Il prit une profonde inspiration, pendant qu'il accélérait et se portait sur la file de gauche. Il se concentra sur les battements de son coeur, sur le parfum du cuir, sur le plaisir de tous ses sens , retrouva son calme intérieur. Il visa avec attention la pile du pont qui approchait rapidement dans la lumière des phares, ferma les yeux, arrêta le temps et l'espace, dans le glissement souple de la machine. Il n'y eut pas un bruit, pas un choc, pas une rupture. Il vit d'en haut la carcasse s'enflammer, les étoiles dans le ciel infini. Il ressentit la paix et le silence de cet instant. Il crut même sentir comme un parfum d'été.
Il s'éleva bien au dessus de l'autoroute, toujours plus haut, hors de la nuit, toujours plus haut vers la lumière, il n'avait plus peur, plus froid, plus de chagrin: Il était temps de rentrer chez lui.
-- Christophe |