Ce matin là, Dieu se réveilla avec une sérieuse gueule de bois. Il avait trop mangé la veille. Il commençait à se faire vieux. Il ne supportait plus les excès comme dans son jeune âge, se promit d'être plus raisonnable. Il regarda l'heure à sa pendule astronomique et vit qu'il avait dormi trop longtemps. Avec tout le boulot qu'il avait, c'était pas encore aujourd'hui qu'il allait se coucher de bonne heure.
Il songea une seconde à appeler quelqu'un au téléphone, se souvint qu'il était seul, qu'il n'avait pas le téléphone, cela le mit de mauvaise humeur. Dieu était souvent de mauvaise humeur.
Il se téléporta à son bureau et jeta un oeil aux programmes de l'univers. Tout tournait selon la LOI. Aucune alarme, aucune erreur. C'était quand même une belle usine. Mais il remarqua que, sur une petite planète, la production était en légère diminution. C'était toujours le même histoire: les systèmes dérivaient parfois, ce qui le contraignait à de petites retouches incessantes. Cela le mettait de mauvaise humeur !
Il corrigea , quelque part, une variable secondaire dans la balance entre le bien et le mal. Là bas, une petite palestinienne de seize ans se mit en marche. Elle avait fière allure avec sa ceinture de dynamite en entrant dans le restaurant. Elle éprouva une vague de terreur au moment d'appuyer sur le détonateur. Cette terreur fit monter un indicateur sur un des écrans de la salle de contrôle et Dieu vit que cela était bon. Apres l'explosion, le sang, la souffrance, l'aiguille monta un peu plus vite, se déclencha la production de chagrin. La procédure "vengeance et représailles" se mit en route. L'aiguille monta plus vite encore. Dieu était content: il allait avoir de quoi festoyer encore ce soir-là. Beaucoup de chagrin, de peur, de douleur, de désespoir. Un festin. Dommage de ne pas pouvoir inviter quelqu'un: c'est chiant de manger tout seul. Cela le mit de mauvaise humeur. Dieu était souvent de mauvaise humeur.
Pourtant il avait fait un beau travail. La chaîne alimentaire, ça c'était une belle trouvaille, non ? Une belle trouvaille: Tout ce qui existait bien programmé pour disparaître, tout ce qui vivait pour mourir. L'explosion des galaxies ne produisait pas beaucoup de souffrance malgré la quantité d'énergie et le beau spectacle. Et les trous noirs, faut reconnaître que ça faisait un peu banlieue sordide.
Il
était encore jeune et inexpérimenté quand il avait conçu cela. L'invention des animaux l'avait bien amusé, leur système nerveux produisait une souffrance physique au goût exquis sous les griffes des prédateurs.
Mais ce dont il était le plus fier, c'était l'homme. Son chef d'oeuvre. Génial de lui avoir donné la conscience. Ce besoin irrépressible de survie, profondément ancré, avec sa mort inéluctable dont il prit conscience en mangeant la pomme qu'il avait mis à sa portée. La solitude, avec ce besoin profond de communication et d'amour. Et ce sens de la créativité qui le faisait participer activement au rendement de l'usine. Oui, un chez d'oeuvre, en vérité. Il aurait bien aimé en inviter un ou deux à dîner pour se sentir moins seul, mais, hein, on n'invite pas son bétail à sa table ! Et puis, s'ils découvraient le pot aux roses, avec leur putain de créativité, ils seraient bien capables de prendre sa place, songea-t'il. Finie l'usine, explosée la fabrique, avec leur morale à la con et tous leurs bons sentiments. Mort de faim dans les deux trois mille ans, Dieu. Cette idée le mit de mauvaise humeur.
Il fit mourir une femme amoureuse, ne remarqua même pas son amant qui pleurait, Dieu était de mauvaise humeur. Ce matin là, comme tous les autres matins, depuis toujours.
Mais lui, quel Dieu pouvait-il prier pour que ça change ?
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